À propos des survivants

Les survivants canadiens de la thalidomide

À ce jour, environ une centaine de survivantes et survivants de la thalidomide vivent au Canada. Certains de nos membres étant décédés au cours des dernières années, tristement, nous prenons conscience de la fragilité de nos vies. Nous gardons dans nos coeurs ceux d’entre nous qui nous ont quitté trop tôt, de même que tous les enfants qui n’ont jamais vu le jour ou sont décédés en très bas âge en raison des effets tératogènes de la thalidomide.

Les thalidomidiens et thalidomidiennes approchent maintenant la fin de la cinquantaine et sont aux prises avec une dégénérescence physique plus rapide que celle de la moyenne des gens, en raison du stress imposé à leurs structures corporelles différentes. Bien que la condition varie beaucoup d’un individu à un autre, cette détérioration prématurée des structures musculo-squelettiques a des conséquence bien réelles sur leur état de santé général, leurs capacités, leur autonomie et leur qualité de vie. Comme ce fût le cas tout au long de leur vie, les besoins et problèmes de cette population unique sont nombreux et marquants. Cela dit, les survivantes et survivants de la thalidomide font preuve d’une grande résilience et d’une belle créativité dans l’accomplissement de leurs activités quotidiennes.

Femme ayant des bras raccourci faisant la cuisine.
Femme avec son chien d'assistance.
Femme ayant des bras raccourcis se séchant les cheveux.

Voici un résumé des troubles qui affectent la vie de nos membres. Bien entendu, la nature des malformations varie énormément d’une personne à l’autre, selon le moment où la mère a pris de la thalidomide durant la grossesse. Ainsi, ce ne sont pas tous nos membres qui sont aux prises avec toutes les conditions énumérées ci-dessous. Certains n’en ont qu’une seule, alors que d’autres doivent composer avec un amalgame de plusieurs d’entre elles.

Vue (yeux)

Chez certaines personnes, la thalidomide a donné lieu à des malformations congénitales qui ont affecté un œil ou les deux yeux, perturbant leur vue à divers degrés. La vision de certains de nos membres s’est détériorée depuis leur naissance. Pour quelques-uns, cette altération est attribuable à des problèmes de dégénérescence qui affectent la population en général. Pour d’autres, cette détérioration peut être le résultat d’efforts supplémentaires fournis à cause de membres raccourcis, de sorte que les livres, les écrans d’ordinateur, et autres, se trouvent très près des yeux. On a également fait état de difficultés liées à des solutions traditionnelles comme le port de verre ou de lentilles, qu’il est ardu de manipuler.

Audition (oreilles)

Les malformations causées par la thalidomide au niveau des oreilles atteignent divers degrés de gravité. Ils vont d’une absence complète ou d’une grave malformation de l’oreille entraînant la surdité à des problèmes moins visibles (par exemple, des canaux auditifs réduits) causant une perte auditive plus ou moins importante. Les malformations aux oreilles résultent également chez ces personnes en une plus grande vulnérabilité aux infections de l’oreille.

Les problèmes secondaires liés à la perte auditive sont très importants et donnent lieu à des troubles de la parole et, par conséquent, à des difficultés d’apprentissage. La communication est une question particulière pour les victimes de la thalidomide atteintes de profondes affections auditives et de malformations des membres supérieurs. Bon nombre d’entre elles peuvent comprendre le langage gestuel, mais ne sont pas physiquement équipées pour exploiter ce type de langage, car il leur manque des doigts. La lecture sur les lèvres dépend de la capacité de la personne à maîtriser cet art, qui n’est pas une compétence aussi courante qu’on le croit, ce qui engendre des problèmes d’isolement et des troubles d’apprentissage.

Problèmes dentaires et oraux (dents et bouche)

Mise à part une présumée augmentation de fissures palatines ou «bec-de-lièvre» à la naissance chez les personnes nées handicapées à cause de la thalidomide, les répondants ont fait état de nombreux problèmes buccaux et dentaires et de caries attribuables au fait que la plupart des victimes avec des membres malformés ont pallié leurs déficiences en faisant de leur bouche un membre supplémentaire.

Les problèmes rapportés sont les suivants : dislocation et douleurs de la mâchoire, caries et perte de dents, névralgies et stress généralisé, sans oublier les maladies des gencives et la détérioration générale des dents.

Les préoccupations s’aggravent pour ceux à qui on a arraché des dents, ce qui nécessite le port d’un dentier et empêche d’utiliser la bouche comme membre supplémentaire. De plus, les gens atteints de malformations aux membres supérieurs doivent apprendre à se débrouiller avec la pose et les soins d’un dentier.

Problèmes nasaux (nez)

Chez certains, les effets de la thalidomide se sont manifesté par des malformations nasales de divers degrés, dont l’une des plus courante est un affaissement de la voûte nasale. Ces malformations augmentent la fréquence des sinusites comme complications à des problèmes simples tels le rhume ou la grippe.

Cou, épaules et bras

Ceux qui sont venus au monde avec des membres supérieurs raccourcis ou sans aucun membre supérieur doivent davantage exploiter leur cou et leur bouche comme outil de compensation. Le cou est souvent utilisé pour transporter des objets, de sorte qu’il devient sujet à des douleurs et à de l’inflammation. Ceux qui ont des affections aux membres inférieurs et qui se déplacent en fauteuil roulant se servent de leur cou et de leur bouche pour transporter des objets lorsque les bras sont déjà occupés d’une autre manière. Les personnes concernées ont rapporté une perte de mouvement au niveau du cou et de l’inflammation douloureuse. Dans certains cas, les vertèbres du cou s’étant déplacées, entraînent une vision floue dans un œil, sinon les deux. On a souvent fait état de cous «barrés» et de douleurs aux épaules. Les bras, quelle que soit la longueur, souffrent d’une surutilisation et d’un usage non courant. Certaines personnes disent souffrir du syndrome du canal carpien ou «maladie du pianiste».

Jambes, hanches et pieds

Certains survivants de la thalidomide sont venus au monde avec une dislocation de la hanche, parfois des deux côtés, et des malformations à ce niveau. Dans bien des cas, les jambes étaient de longueurs différentes, et le tout a donné lieu à des problèmes de dos.

Ceux qui portent des jambes artificielles ont fait état de problèmes aux hanches et dans le bas du dos, étant donné qu’ils doivent avancer en remuant les hanches, qui doivent également supporter le poids des membres artificiels.

Les jambes de longueurs différentes peuvent entraîner une dureté de la peau qui, lorsque non traitée, est affectée de fissures profondes et douloureuses. Voici d’autres problèmes rapportés : orteil en marteau, fissures verticales et fissuration des ongles, ongles incarnés. Ceux qui ont des membres supérieurs raccourcis sont incapables de s’occuper de leurs propres pieds et de leurs ongles d’orteil, ce qui représente une autre source de problèmes.

Les personnes qui se servent des pieds pour remplacer leurs mains ont fait état de problèmes aux genoux, notamment des dislocations. Les engourdissements et la perte de dextérité dont souffrent ces personnes au niveau des jambes est une grave source de préoccupation puisqu’elles ne peuvent, en l’absence de bras, s’appuyer sur des cannes ou des marchettes.

Dos (colonne vertébrale)

Les personnes souffrant d’embryopathie ont fait état des dégénérescences suivantes:

  • Scoliose à divers degrés, et progression du problème;
  • Fusion intervertébrale;
  • Compression de la moelle épinière;
  • La colonne vertébrale des personnes non ambulantes et de celles ayant les bras raccourcis présente souvent une courbe inférieure à la normale dans la partie supérieure du dos;
  • La gamme limitée de mouvements des parties supérieures et inférieures est souvent compensée par une utilisation des autres parties du corps;
  • La douleur extrême au dos dont souffrent les gens fait en sorte qu’ils ont besoin de plusieurs heures pour se réveiller complètement, comme par étapes; parfois, ils se retrouvent ankylosés et ne peuvent plus bouger;
  • L’équilibre est affecté par des bras et des jambes raccourcis puisque le centre de gravité est déstabilisé, ce qui agit sur le dos.

Autres problèmes (organes internes / troubles médicaux)

Voici une liste de certaines difficultés internes et de troubles médicaux dont ont fait état nos membres :

  • Absence d’appendice (la personne peut néanmoins éprouver les symptômes classiques d’une appendicite, mais l’opération permet dans certains cas de découvrir l’absence de cet organe)
  • Problèmes stomacaux et difficultés digestives
  • Constipation, intestins irritables (également, problèmes découlant d’une absence d’anus à la naissance et problèmes d’incontinence)
  • Problèmes cardiaques (certains peuvent être héréditaires, tandis que d’autres peuvent être liés à la thalidomide)
  • Absence de rate
  • Malformations du foie, des reins et des poumons (pouvant entraîner des problèmes respiratoires comme l’asthme, etc.)
  • Malformations de la vessie ou des voies urinaires (bon nombre des gens en fauteuil roulant ont comprimé, plus jeunes, des envies d’uriner fréquentes, de sortes que certains d’entre eux éprouvent aujourd’hui des problèmes de vessie ou d’incontinence)
  • Apnée du sommeil
  • Douleurs fulgurantes et sourdes de source non identifiées
  • Fatigue chronique
  • Lésions pour les gens constamment assis ou qui doivent se tourner sur leurs fesses pour utiliser leurs pieds, et escarres (nécroses cutanées) causées par la pression aux points d’appui chez les personnes qui utilisent un fauteuil roulant (la guérison de ces lésions est plus longue étant donné qu’il fait constamment faire usage de ces points d’appui)
  • Odeur urinaire et intestinale problématiques
  • Détérioration et atrophie musculaire
  • Arthrite
  • Hypertrophie musculaire résultant d’une surutilisation des membres présents ou difformes.

Fertilité (et organes génitaux)

Les hommes ont fait état d’organes génitaux difformes. Un autre problème évoqué est celui du faible nombre de spermatozoïdes ou d’une infertilité totale. La cryptorchidie, une malformation congénitale caractérisée par l’absence des testicules dans le scrotum par suite de leur rétention dans la cavité abdominale augmenterait les risques de cancer des testicules.

Les femmes peuvent éprouver des problèmes de conception apparemment attribuables à des malformations des voies reproductives et de l’utérus. Le tout donne lieu à des fausses couches à répétition et à des accouchements prématurés. De plus, certaines malformations squelettiques entraînent une incapacité de mettre des enfants au monde de façon naturelle sans mettre en danger l’enfant à naître, entraînant une augmentation marquée des naissances par césarienne chez les survivantes de la thalidomide.


Pour plus d’informations, nous vous invitons à lire le rapport d’une étude sur les conditions de vie actuelles des survivants de la thalidomide et sur leurs prévisions quant à leur avenir réalisée en 2011 par l’ACVT. Il est à noter que les conclusions du rapport doivent être tempérées par le fait que le Gouvernement du Canada a lancé, en 2015, le Programme de contribution pour les survivants de la thalidomide, ce qui a assurément allégé la précarité financière rencontrée par la plupart de nos membres. Il est également permis de croire que l’accès aux soins de santé spécialisés, pour lequel le coût était le principal obstacle, s’est amélioré, mais nous ne sommes pas en mesure de confirmer cette information. Cela dit, les constats quant à la dégénérescence physique prématurée de même que la douleur et la perte d’autonomie qui en découlent restent d’actualité.

Vous pouvez également consulter le rapport d’une enquête réalisée en 1999 par l’ACVT au sujet des anomalies musculo-squelettiques, de la santé générale et de la qualité de vie de ses membres.